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CHAMBRES RÉUNIES


genre de services il avait rendus aux généraux : « Dégagez-vous de toute compromission avec eux ; pour vos enfants, dites toute la vérité. » Alors Esterhazy, après quelques instants de réflexion : « Vous avez raison ; je vais dire toute la vérité : c’est moi qui ai fait le bordereau ! » Et, comme le journaliste restait « interloqué », « secoué d’un frisson » : « Oui, c’est moi qui ai écrit le bordereau à la prière du colonel Sandherr, mon supérieur et mon ami… Je révèle le secret qu’on n’avait jamais pu m’arracher jusqu’ici, à prix d’or… Billot, Boisdeffre, Gonse savaient que j’étais l’auteur du bordereau. »

Il fallut cette scène, le choc direct d’Esterhazy, pour ouvrir les yeux du parisien. Il ne crut pas un instant que Sandherr eût donné à Esterhazy un tel ordre et que « les généraux se fussent accrochés à ses basques, le priant de n’en rien dire » ; vingt fois déjà, Esterhazy, son avocat Cabanes avaient raconté cette absurde histoire. Il ne retint que l’aveu, spontané, haineux, décisif à cette heure solennelle, quand la tragédie semblait près de sa fin ; cette confession du misérable, nullement une boutade, renouvelée verbalement et par écrit[1], emportait tout. Le système de Roget, qu’« Esterhazy

    qu’on regrettera avec du sang dans les larmes de n’avoir pas compris. Si je n’ai plus que la vengeance, aucune considération ne m’arrêtera pour me venger… Au point où j’en suis, je ne reculerai devant rien ; vous devez me connaître assez pour savoir que ce ne sont pas de vaines paroles… Si je n’ai pas voulu me venger pour de l’argent, je me vengerai pour rien si l’on ne m’accorde pas les concessions très modérées que je demande… Je crois en Dieu, mais aucune considération divine ou humaine ne m’arrêtera… Je f… tout à l’envers… etc. »

  1. Déclaration autographe dans le Matin au 8 juin 1899 : « J’affirme que l’article paru sous la signature de M. Ribon (Serge Basset) et rapportant les déclarations que je lui ai faites relativement au bordereau est rigoureusement exact et rapporte textuel-