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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tournent mal. Il avait été accusé, on s’en souvient, par Mme Monnier d’avoir trahi, à son détriment, le plus sacré des secrets religieux ; le juge Bertulus avait porté cette histoire à la Cour de cassation[1], et cela faisait grand bruit. Rome, dans l’espèce, n’eût pas admis l’ordinaire excuse que le moine s’était entretenu avec sa pénitente ailleurs qu’au confessionnal, et qu’ainsi ce qu’il avait raconté n’était point la confidence recueillie dans l’exercice de ses fonctions. Du Lac pensa que le plus simple serait que Mme Monnier se rétractât et forma le projet, qui témoignait assez de son embarras, de détourner par mon intervention le péril dont il était menacé. Les gens qui me connaissaient seulement par les outrages de mes adversaires et la réputation qui m’en était venue, me tenaient pour un furieux ; ceux qui me lisaient ou qui étaient renseignés savaient que, même dans cette dure bataille, je poussais à l’extrême le désir d’être équitable. Il m’avait donc fait demander par l’une de ses amies[2], qui était aussi la mienne, d’entendre ses explications, et comme j’y avais consenti, tant pour m’éclairer que par la curiosité de voir de près le personnage, il avait impudemment proposé que j’allasse lui rendre visite dans sa cellule. Je refusai de lui donner cet avantage d’une démarche qu’il m’eût fait attribuer, après l’avoir lui-même sollicitée. Il fut alors convenu que nous nous rencontrerions à déjeuner chez cette amie, qui le croyait calomnié et qui eût voulu m’en persuader.

Je trouvai un homme de fort belle taille, très robuste, la figure colorée du paysan, un front haut et comme gonflé par une surabondance de pensées, l’œil doux et

  1. Cass., I, 234, Bertulus.
  2. Mme Dreyfus-Gonzalès.