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DÉFENSE RÉPUBLICAINE


fuyant, et n’ayant rien, au dehors, du moine ténébreux et terrible qu’on avait coutume de dépeindre. Le père Letellier, au dire de Saint-Simon, « eût fait peur au coin d’un bois[1] ». On se fût figuré volontiers celui-ci attablé, dans un cabaret de village, à boire chopine en maquignonnant du bétail.

Il alla, tout de suite, au fait, d’une parole vive et sûre, qui ne paraissait pas calculée et, même, semblait parfois imprudente ; quelqu’un qui ne se fût pas méfié aurait été séduit par son ton, tantôt indigné, tantôt douloureux, qui eût passé pour sincère.

Son discours fut long[2]. Il ne connaît pas Pellieux, ne lui a jamais parlé ; le général lui-même en conviendra ; la dénonciation contre Mme Monnier est venue d’ailleurs, à cause du signalement de la dame voilée qui parut s’appliquer à elle ; et tout ce qu’il a dit à Boisdeffre, quand il connut par les journaux l’aventure de la protectrice d’Esterhazy, c’est que c’était quelque supercherie : Il ne peut attribuer qu’à l’affolement le récit de son ancienne pénitente à Bertulus ; s’il lui a écrit par deux fois, lors du procès de Zola, c’était dans la pensée de ramener la paix au foyer conjugal ; il avait bien le temps de s’occuper de l’affaire Dreyfus ! « Je suis monté en chaire, pour la première fois de ma vie, à cinquante-deux ans ; je dois travailler beaucoup mes sermons. » Et le tout, à chaque instant, entrecoupé de serments : « Je jure devant Dieu… » Déjà, il a convaincu la mère de Mme Monnier qu’on l’a soupçonné à tort : « Pourquoi n’écoute-t-elle pas les conseils de

  1. Mémoires, XVII, 60.
  2. « Le père jésuite, qui, ce jour-là, manqua à toutes les traditions de la Compagnie, se laissa aller à l’indiscrétion. » (L’abbé Denis, directeur des Annales de philosophie chrétienne, ans le Giornale d’Italia d’avril 1904.)