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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


connaissait les règlements et qu’il en avait été lui-même un observateur sévère.

Vers le soir, il comprit au mouvement du navire que le Sfax avait levé l’ancre, et l’île maudite, sans qu’il la revit, se perdit dans la brume. (9 juin.)

II

Le Sfax marcha très lentement, par ordre, à peine 200 milles par jour. Il fit du charbon à Saint-Vincent, — îles du Cap-Vert[1], — le 18, en repartit le 20. Matin et soir, Dreyfus fut autorisé à se promener sur le pont pendant une heure. Personne ne lui parla, en dehors des besoins du service, et, comme il se considérait « l’égal de chacun[2] », il ne parla à personne.

« Sa force d’âme étonna tous les officiers[3]. »

Pendant la relâche aux îles, le lieutenant Champagnac, qui lui prêtait des livres, lui fit remettre un numéro du Times. Il y lut que Du Paty était arrêté, en prison au Cherche-Midi, aux lieux mêmes où il l’avait si durement torturé. Cela le confirma dans la pensée que son innocence était définitivement reconnue. Il se fût indigné si quelqu’un, cherchant à le détromper, avait insinué que, là-bas, derrière cet horizon qu’il sondait d’un œil avide, il n’allait pas trouver des hommes unis dans une pensée commune de réparation, mais des haines plus atroces qu’à son départ, qui s’exaspéraient,

  1. Possession portugaise à hauteur du Sénégal, sur le même parallèle que Dakar, à 1.800 milles environ de Cayenne et 2.000 milles de Brest.
  2. Cinq Années, 320.
  3. Conversation du commandant Coffinières avec un rédacteur du Temps (2 juillet 1899).