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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


même. Mais la crédulité des militaires et des militaristes, qui aurait dû sombrer dans le naufrage d’Henry, s’était, au contraire, accrue, s’offrait comme une complicité. Dès que Mercier commença à parler du faux impérial et à le faire voir[1], il trouva autant de dupes, pour admirer au premier mot, que de fourbes pour s’entendre avec lui d’un regard. L’invraisemblance, l’impossibilité (morale et matérielle) de l’inepte roman n’arrêta personne. Il eût voulu alors revenir en arrière qu’il ne le pouvait plus, prisonnier de ses amis, du monstrueux mensonge qu’il leur avait fait.

On en connaissait déjà différentes versions par les articles de Rochefort et des Croix, le discours de Millevoye à Suresnes, les allusions d’Henry au procès Zola, surtout par les confidences de Boisdeffre et les commentaires de ses officiers dans les salons[2]. — En fait, le faux circule, tantôt visible, tantôt caché, à travers toute l’Affaire. Tel le fil rouge qui traverse d’un bout à l’autre les cordages de la marine anglaise, apparaît aux cassures. — Cependant l’extraordinaire histoire, si Mercier lui-même ne l’avait pas adoptée, fût tombée comme tant d’autres mensonges qui avaient successivement amusé la badauderie ou la méchanceté publiques, ou elle fût restée à l’état d’une légende en formation qui ne parvient pas à se cristalliser. Quels garants en avait-on ? Boisdeffre lui-même ne sait rien que par Mercier. Au contraire, la parole de Mercier s’impose ; seul, il a été directement informé de tout ; il est l’acteur principal du

  1. Gaulois du 1er  août 1899, lettre au général Mercier : « Vous possédez un des exemplaires de cette photographie et vous l’avez emportée sur vous à Rennes. » — De même Croix du 21 septembre, Libre Parole du 22, Fronde du 20 décembre 1900, Intransigeant du 25, etc.
  2. Voir t. I, 349 ; III, 165, etc. — Cass., I, 612, Turenne ; 775, Andrade.