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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


commandement ; les autres (Drumont, Déroulède, Arthur Meyer, Barrès, les Pères Assomptionnistes) comprirent à mi-mot pourquoi il suffisait, pour l’instant, d’en parler dans les salons. Cette propagande mondaine du faux, que Boisdeffre avait organisée avant Mercier et qui avait été, depuis le début de l’Affaire, l’un des principaux ressorts de l’action occulte des généraux, était à deux fins : elle chauffait l’opinion de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie[1], essentielle à maintenir en haleine contre Dreyfus ; et elle en débordait dans les couches inférieures de la société, la moyenne bourgeoisie, le monde des artistes, des hommes de lettres et des fournisseurs, en province, surtout dans l’armée.

On sut ainsi, dans nombre de garnisons, que Mercier avait montré la fameuse photographie à des personnes « dignes de toute confiance », et notamment à Stoffel, l’ancien attaché militaire à Berlin avant la guerre, l’auteur des rapports prophétiques sur l’armée allemande, à qui l’on n’en faisait pas accroire[2]. Munster lui-même, « bien qu’il ait juré et fait jurer à Casimir-Perier, sur la Bible, de ne jamais parler du bordereau annoté », en a entretenu Stoffel[3]. L’autre bordereau, celui sur papier pelure, n’est qu’un trompe-l’œil, et cela suffit à vicier toute l’enquête de la Cour

  1. Haute Cour, II, 70, scellés Fréchencourt : « J’ai eu par mon ami de Fontars des nouvelles sur la future déposition du général Mercier qui aurait une photographie d’une pièce émanant de Guillaume II ; ce serait la preuve indéniable de la trahison de Dreyfus. Signé : Pierre de Saint-Marc. »
  2. Voir t. I, 349 ; III, 165. — Ferlet de Bourbonne, dans sa lettre à Jaurès du 9 mars 1903, place sa première conversation avec Stoffel, au sujet du bordereau annoté, « quelque temps après la démission de Casimir-Perier ». (Cass., IV, 632.)
  3. Ibid. — Stoffel lui-même, en 1898, avait fait le même conte à Robert Mitchell. (Gaulois du 4 février 1902.)