Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


de cassation. Ainsi s’explique le tardif aveu d’Esterhazy qu’il est l’auteur du bordereau. Quel bordereau[1] ? Ces esprits simples, passionnés, épris du merveilleux, avalaient tout.

Le mensonge est pareil à la fausse monnaie ; presque tous ceux qui la font circuler la tiennent pour bonne.

Il y avait à Rennes, comme dans toutes les vieilles villes de province, une petite société aristocratique et cléricale, apparentée à la société parisienne ; on se visitait et on s’écrivait. Mercier et Du Lac n’auraient pas eu d’émissaires particuliers à Rennes que la légende y serait venue par les infiltrations ordinaires.

Le bordereau annoté, qui « illuminait » toute l’Affaire[2], une fois arrivé à Rennes, aux portes du tribunal militaire où les juges de Dreyfus s’en entretenaient déjà[3], Mercier considéra qu’il tenait la victoire aussi sûrement qu’aux jours, déjà lointains, où Henry

  1. Rennes, II, 568, Belhomme. — Voir p. 271.
  2. Cass., IV, 632, Ferlet de Bourbonne : « Voilà ce qui illumine toute l’affaire Dreyfus, si obscure pour ceux qui ignorent cet incident. »
  3. Récit du colonel (aujourd’hui général) Jourdy, alors premier juge suppléant, au général André et à Wyrouboff, professeur au Collège de France. — Lettre du docteur Dumas à Jaurès sur sa conversation avec le commandant Merle : « Ce serait donc vrai, cette abominable histoire d’un bordereau portant une annotation de l’Empereur d’Allemagne ? — Que dites-vous ? (Il paraissait stupéfait et épouvanté.) Ne parlez pas d’une affaire pareille, il ne faut jamais en parler. » (Cass., IV, 542.) — Brugerette, loc. cit., 28 (conversation de l’abbé V. avec un des juges de Rennes). — Victor Basch, professeur à l’Université de Rennes, me prévint dès le mois de juin : « Les officiers se rendent compte que l’accusation relative au bordereau ne saurait être maintenue, mais ils attendent le coup de massue de Mercier. » (25 juin.) « Ils ont le ferme espoir que le général Mercier apportera une pièce irréfutable ou affirmera du moins