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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


tætter, mais tous les juges de 1894. Mathieu et Demange s’y refusèrent, disant que ce n’était pas à eux de citer des témoins à charge, sincères ou de parti-pris ; mais il n’eût pas fallu consentir à Lebrun. Pour les « témoins » de Quesnay, on convint de demander au colonel Jouaust qu’il lui réclamât leurs noms et les convoquât, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ou les fît interroger par commission rogatoire, « afin de mettre la vérité en évidence[1] ».

Ainsi rien ne subsista plus, de l’arrêt des Chambres réunies, que le renvoi de Dreyfus devant la justice militaire, et, des instructions du gouvernement, que la faculté pour Carrière de requérir à sa guise, et personne ne doutait plus que ce serait contre Dreyfus. Galliffet s’étant refusé à lui désigner un avocat consultant pour se débrouiller dans sa procédure[2], il avait été dirigé sur Auffray qui était, avec Ployer, l’un des conseils ordinaires de l’ancien État-Major, avait aidé Du Paty, au procès de Zola, à « faire la salle des assises[3] » et appartenait aux Jésuites. On imagine la prise qu’un fanatique de cette espèce, qui avait toujours les mots de patrie et de justice à la bouche, souple et discret pour mieux diriger, connu pour l’ami des généraux et des plus gros bonnets de l’Église, et avec cela instruit et laborieux, sut prendre sur l’ancien gendarme algérien qui avait été improvisé commissaire du gouvernement et, loin de s’en faire accroire, s’était mis, à soixante-quatre ans, à passer ses examens de Droit. Un malhonnête homme eût été moins dangereux que ce pauvre homme, imbu de préjugés, d’une invraisemblable sottise,

  1. Temps du 2 août 1899.
  2. « Par un sentiment de réserve, peut-être exagéré, mais louable… » (Jean-Bernard, Le Procès de Rennes, 172.)
  3. Voir t. III, 464.