Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


les devait ennoblir ; on vivait encore dans la tempête, mais aussi dans du décor. Ce procès, si pathétique, par ce malheureux qui demande justice et par cette armée qui va dire si elle est ou non capable de justice, ce sera un spectacle.

Le général Lucas ayant assigné au conseil de guerre la salle de la manutention, étroite et basse, mais où le prétoire n’eût pas été un théâtre[1], les journalistes et Labori protestèrent : « La voix n’aura aucune sonorité ! On n’entendra rien[2]… » Il fallut céder, aménager en hâte au lycée une salle plus vaste[3]. Le public y verra les acteurs, « le son ne s’en ira pas par la fenêtre ».

Le bon sens, l’intérêt de Dreyfus, celui des juges, eussent voulu, comme l’avait très bien vu le général Lucas, que l’affaire fût jugée comme les affaires ordinaires, dans la même salle, sans plus d’appareil, rien qu’avec des sténographes en plus.

En attendant la grande pièce, la scène ne resta pas inoccupée ; chaque jour amena son incident, les uns qui se rattachaient directement à l’Affaire, les autres (de beaucoup les plus importants) d’ordre politique, où Dreyfus n’était qu’un prétexte.

L’une des contradictions les plus singulières de l’opinion à cette époque, c’était l’espèce d’indifférence où elle était à l’égard d’Esterhazy, comme d’un acteur qui

  1. La salle était entièrement aménagée (28 juillet 1899) quand les réclamations se produisirent.
  2. « Il serait honteux, écrivait Labori, que le gouvernement n’imposât pas une solution qui sera approuvée de tous. Il nous doit vraiment au moins cela. « (1er août.)
  3. L’inspection académique essaya de s’y opposer alléguant que « la comparution de Dreyfus dans une des salles du lycée nuirait au développement de cet établissement, déjà menacé par les maisons religieuses ».