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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


geance et nomma plusieurs femmes, dont la Bastian, qui auraient été mêlées à ces tripotages policiers. Mon informateur continuant son enquête, le hasard fit qu’il se rendit d’abord chez la Bastian et sans soupçonner qu’elle fût cette fameuse « voie ordinaire » que Picquart et ses anciens chefs n’avaient jamais désignée que sous ce sobriquet[1].

Au premier mot que l’inconnu dit de la Millescamps, la Bastian se précipita sur lui, un couteau de cuisine à la main[2], et l’aurait frappé, si son mari ne l’avait désarmée. Elle appela alors des agents qui la conduisirent, ainsi que son visiteur, chez le commissaire de police. La Bastian fit, à son ordinaire, une scène de menaces et de cris ; l’homme, ancien employé de la Sûreté, montra sa carte qu’il avait conservée[3]. Le commissaire n’y comprit rien, en fit cependant son rapport à la Préfecture, après les avoir renvoyés dos à dos. J’avertis de mon côté Waldeck-Rousseau et Lépine qui me prièrent de faire le silence sur l’incident, à cause des noms de la Bastian et de Brücker qu’il y avait intérêt à ne pas divulguer[4].

  1. 26 juillet 1899. — Cette enquête avait été organisée, sur mes indications, par la directrice de la Fronde, Marguerite Durand, qui me transmettait les lettres de l’informateur ; c’était un ancien agent secret de la Sûreté générale qui fréquentait dans le monde des journaux sous le nom de Gaston.
  2. Procès Dautriche, 162, François. — Le récit de François, d’après la Bastian, est conforme sur presque tous les points à la note qui me fut communiquée par Marguerite Durand et que j’ai résumée dans ma déposition devant la Cour de cassation (2 mai 1904).
  3. Procès Dautriche, 527, Hennion : « Ce sont des gens qu’on emploie par instants, qu’on liquide quelquefois, pour reprendre plus tard, quand on en a besoin. »
  4. L’incident n’en fut pas moins connu, relaté, d’ailleurs inexactement, dans le Temps (28 juillet 1899) et la Libre Parole (10 août). Brücker avait été précédemment mis en cause par Esterhazy (Matin du 20).