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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Chouans, une description qui est restée exacte jusque dans les détails) était, en effet, le grand obstacle à la prise de l’homme ; s’il était Breton, malgré l’air et l’accent du Midi que certains témoins lui attribuaient, le « gars », qui connaissait si bien les rues de Rennes, devait savoir mieux encore la campagne environnante. Jeune (environ vingt-cinq ans, trente au plus, selon tous ceux qui l’avaient vu), agile, résolu et sournois, comme il en avait donné la preuve[1], il est déjà loin, ou si bien caché que, sans quelque hasard, il restera introuvable. Couché dans l’une des inextricables haies qui courent autour de chaque champ, comme une muraille, ou dans les broussailles, non moins hérissées, des grandes forêts qui sont comme la haie circulaire de Rennes, des centaines d’hommes peuvent passer à côté de lui sans le voir. Ainsi, une fois dans la campagne, il n’a pas besoin d’autre complice que la nature. Mais il pourra aisément en avoir d’autres, non moins sûrs, un « gars » de sa paroisse qui, pour tout l’or du monde, ne le « vendra » pas[2], quelque vieille femme épouvantée, ou encore le successeur de l’un des fameux « recteurs » qui avaient fait, dix ans durant, le coup de fusil contre les bleus, pour la défense de la religion, et dont l’âme s’était continuée, n’avait pas beaucoup plus changé que la terre elle-même.

Le directeur de la Sûreté, conseillé par Cochefert qui se trouvait à Rennes comme témoin, Hennion, passionné de son métier, le procureur général et le préfet, qui avaient une grande habitude du pays, multiplièrent les enquêtes et les battues, lancèrent dans toutes les

  1. Signalement donné par Picquart : « Air sournois, énergique et décidé. »
  2. Mot d’un paysan à Claretie : « Les gens de là-bas ne le livreront point. » — Voir p. 355, note 4.