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RENNES


directions des centaines d’agents, des escadrons de gendarmerie, des compagnies entières d’infanterie, mais sans arriver à retrouver la piste perdue. Tout ce qu’il y avait de journalistes à Rennes, plusieurs fort frottés de police, qui s’étaient mis également en chasse, ne furent pas plus heureux. Ce qu’on apprit d’à peu près certain n’est relatif qu’aux trois ou quatre journées qui précédèrent le crime : qu’un individu, dont le signalement correspondait presque de tous points à celui de l’inconnu, était venu le vendredi, le samedi et le dimanche chez la cabaretière du pont Laënnec ; qu’il était pauvrement vêtu, dînait d’un peu de boudin, d’un morceau de pain et d’une bolée de cidre, et parlait volontiers de l’Affaire qui aurait fait plus de bruit à Nantes, disait-il, qu’à Rennes ; qu’il s’informa d’abord à quelle distance les curieux étaient refoulés, lorsque, le matin, avant l’audience, Dreyfus était conduit de sa prison au lycée, puis des heures où Labori allait à l’audience et en revenait ; — d’où la cabaretière concluait que l’homme était venu pour tuer le juif et, à cause de la difficulté, s’était rabattu sur l’avocat ; — qu’il couchait à la belle étoile, dans les champs ou dans les granges ; et que, l’avant-veille, après avoir marchandé des pistolets de petit calibre[1] à un armurier, il avait acheté le moins coûteux[2]. On sut aussi, mais déjà les signalements devenaient moins précis, que le garde-barrière du passage à niveau de Bray l’avait vu Ira verser la voie peu après le crime, et que, vers sept heures, des gens du bourg de Cesson, le premier village sur la Vilaine en venant de Rennes, notamment la tenancière d’un débit en face du pont, avaient

  1. Huit millimètres.
  2. Instr. Guesdon, dép. Quatrebœuf, Grimaud.
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