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RENNES


pérances et son perpétuel tonnerre[1]. Qu’eût-on gagné à son remplacement par Mornard ou par Albert Clemenceau, pendant que de nouvelles sympathies viendraient de sa mort à la cause de Dreyfus ? De tous les défenseurs du juif, nul n’a soulevé moins de haines[2], n’a trouvé, malgré sa vaillance et son dévouement, plus d’indulgence. Depuis le début du procès, il n’a pas encore dit un mot dont le plus susceptible ait pu s’offenser, pas fait un geste, même pendant la déposition de Mercier[3].

Les inventions mensongères, qui ne profitent que passagèrement aux mauvaises causes, desservent immédiatement les bonnes. Il n’y avait eu qu’un cri de réprobation dans l’armée à la nouvelle de l’attentat ; le cri s’arrêta, l’indignation se retourna quand les socialistes, au lieu de s’en tenir à la responsabilité morale d’une presse sans conscience, mirent en cause, non seulement Mercier, mais l’État-Major lui-même, pris comme expression de la haute armée. Tout le corps d’officiers va se cabrer contre les généralisations de Jaurès : « Pour perdre Dreyfus, l’État-Major, en 1894, avait supprimé la défense ; cette fois, il

  1. Barrès. 167 : « Je réclame un peu de bon sens. Quel intérêt avions-nous à supprimer Labori ? Mort, ce gros garçon eût apitoyé l’opinion publique qui se fût tournée quelque peu vers les dreyfusards, tandis que, vivant et tonitruant, il ne cessait pas de nous servir. » — Cassagnac : « Un autre avocat surgissait… Labori, quelle que soit mon estime pour lui, ne m’apparaît pas encore comme l’unique représentant, au barreau français, du courage et de l’éloquence. Au procès Zola, il m’a profondément ennuyé par son intarissable verbiage ; il me fait l’effet d’une outre gonflée par le vent. L’attentat commis sur lui est forcément l’acte d’un fou, doublé d’un imbécile. » (Autorité du 19 août 1899.)
  2. Il ne figure que deux fois aux Listes rouges (537, 539).
  3. Écho du 16 août.