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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


trouve plus simple de supprimer les défenseurs[1]. »

Séverine s’écriant : « Maintenant, c’est dent pour dent, homme pour homme… » ; Mirbeau désignant Barrès comme « otage », si Demange ou Picquart étaient frappés à leur tour, ou sommant Arthur Meyer de déguerpir au plus vite de Rennes, amusaient le public. Traiter l’armée, ou une fraction de l’armée, de parti de l’assassinat, cela piquait à nouveau le pays au vif, refoulait le flux de l’émotion.

D’autres fautes encore furent commises. Par un contre-coup que Mercier, le premier, avait senti, Dreyfus profitait de l’attentat contre le plus populaire de ses défenseurs. Il n’y avait qu’à laisser les réflexions qui sortaient du crime se propager elles-mêmes, s’étendre comme des ondes. Certaines vérités ne pénètrent qu’à la condition qu’on s’en taise ; dès qu’on les exprime, elles en meurent, comme les lignes gravées sur la plaque photographique s’évanouissent au contact de la lumière. Il était vrai que « ce coup de revolver valait une plaidoirie », mais il ne fallait pas le dire, et les revisionnistes enfiévrés le répétèrent avec Claretie[2], un mot d’homme de lettres, le contraire d’un

  1. Petite République du 15 août 1899, etc. — Sébastien Faure, dans le Journal du Peuple, intitule un de ses articles : Nos otages » ; cinq « meneurs » seront tenus « personnellement responsables » devant les « compagnons », à savoir Drumont, Rochefort, Judet, Mercier et Cavaignac. Ces misérables extravagances permirent aux nationalistes de retourner contre les amis de Dreyfus l’argument de la complicité morale : « C’est l’appel pur et simple à l’assassinat… Ces allumeurs de foule prêchent l’assassinat aux idiots de leur parti. » (Autorité du 19.)
  2. « Claretie, devenu livide, répétait cette phrase, étonnante en ce pareil moment… » (Écho de Paris, antidaté, du 16). « Il dit très haut… » (Figaro du 15.) — Claretie attribue le propos à Labori lui-même : « Voici la meilleure plaidoirie que j’aie pu faire pour Dreyfus. » « C’est vrai. Il l’a dit avec un confiant sourire. » (Temps du 16.)