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RENNES

Encore une fois, nulle faute contre la vérité matérielle, mais toute la tristesse infinie du crime contre l’esprit.

Enfin Lebon fit la seule chose qu’on pût attendre de lui : son apologie, et tout à fait tranquillement, comme il exposait une affaire dans les conseils d’administration où il travaillait depuis qu’il avait été chassé de la politique, sans qu’un muscle de sa face cireuse bronchât, avec son ordinaire effronterie de regard, ce regard fixe et dur qui est particulier aux yeux vairons[1], et caressant la soie rousse de sa belle barbe. Dreyfus, dit-il, avait été mystérieusement informé des projets d’évasion que préparaient ses amis et dont l’exécution eût été « extrêmement facile ». En effet, vers l’automne de 1896, juste au moment où les conciliabules de sa famille, les allures suspectes du concessionnaire des transports maritimes des Guyanes, associé d’un Allemand[2], le stationnement, resté inexpliqué, d’un bâtiment américain pendant vingt-quatre heures devant les îles du Salut, le faux « Weyler » et la grille dont le condamné faisait usage dans ses lettres, avaient inquiété l’administration des Colonies et Picquart lui-même, Dreyfus, jusqu’alors très soumis, avait brusquement changé d’attitude. Dès lors, pour Lebon, l’obligation d’ordonner la double boucle et le reste, toutes choses d’ailleurs « qui n’ont pas aggravé particulièrement les souffrances du prisonnier[3] » ; le cas échéant, dans les mêmes circonstances, « il n’hésiterait pas à prendre les mêmes mesures[4] ».

Demange se borna à réclamer la lecture, qui fut or-

  1. Beaumarchais, Barbier de Séville, acte Ier, scène XII.
  2. Voir t. II, 322.
  3. « Sans être une mesure agréable. » (Gaulois du 29 juillet.)
  4. Rennes, I, 235, Lebon : « Je n’hésiterais pas à les prendre encore. » 243 : « Je n’hésiterais pas à recommencer… Je le ferais encore en pareille circonstance. »