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CHAMBRES RÉUNIES


tablement éclipse de la bonté » comme de l’esprit critique[1].

La loi de dessaisissement, qui devait désarmer toutes les haines, n’en fit tomber aucune. Pas une heure, la promesse d’attendre avec confiance le jugement de la Cour plénière ne fut tenue.

Quesnay, le cerveau plus détraqué de jour en jour, pris maintenant d’une rage folle contre le procureur général Manau ; Lemaître, qui tombait au niveau de Rochefort, à « l’horrible métier » de l’injure et de la calomnie quotidiennes[2] ; Judet, Humbert, les Pères de la Croix, redoublèrent, au contraire, de violences, infatigables, attentifs à tout, en insurrection contre quiconque essayait, même indirectement, de calmer la fièvre patriotique, la tempête des peurs sincères, les milliers de pauvres gens encore tremblants à l’idée de la France vaincue d’avance, en cas de guerre, parce que ses secrets ont été livrés.

Ainsi, Freycinet s’étant avisé de faire entendre quelques mots de bon sens[3] sur la vanité de l’espionnage (sur la maladie française qui consiste à croire toujours que nous sommes trahis), les entrepreneurs d’affolement, à qui il ôtait le pain de la bouche, le rappelèrent

  1. Abbé Henri de Saint-Poli, L’Affaire Dreyfus et la Mentalité catholique en France, 121, 124. — « Saint-Poli » est le pseudonyme de l’abbé Brugerette, prêtre lyonnais, professeur d’histoire et de philosophie.
  2. Lemaitre, Les Contemporains, III, 311. Ailleurs, dans la même étude sur Rochefort : « Les pires instincts de la foule, je veux dire ceux qui lui font le plus de mal à elle-même, il n’a jamais manqué une occasion de les exploiter, de les exaspérer… De toutes les pages qu’il a écrites depuis seize ans, il en est bien peu que je voudrais avoir sur la conscience. »
  3. Chambre des députés, 11 mars 1899, discussion du budget de la guerre.