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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


durement à l’ordre[1]. Il comprit, se fit tout petit pour communiquer au Sénat qu’il avait interdit toute affiliation de militaires à la Ligue de la Patrie française[2].

La voix la plus haute de la chrétienté s’éleva à son tour, très tard, assez tôt encore pour éviter aux catholiques l’irréparable revanche des choses, et elle ne fut pas plus écoutée.

On venait de publier une lettre, d’ailleurs intime, de Roget qui faisait grand bruit : « Nous (les soldats), nous avons raison contre toute l’Europe en croyant à la culpabilité de Dreyfus[3]. » Quelques jours après, le Pape reçut en audience un écrivain catholique, Boyer d’Agen, et comme c’était le plus politique des hommes, « plus diplomate que prêtre[4] », il ne l’invita pas à reproduire ses paroles, mais il ne le lui défendit pas non plus :

Que faites-vous, disait-il, de ce scandale cosmopolite que vous donnez à quiconque vous regarde et vous plaint d’user vos forces nationales à une lutte sans grandeur pour la France chevaleresque ni profit pour la compatissante humanité ? Où est le trait de votre race généreuse dans cette atroce agression des partis ? Cette malheureuse affaire n’a-t-elle pas trouvé enfin son tribunal ? Non seulement le prévenu a obtenu des juges ordinaires, mais votre Parlement lui prête, pour la circonstance, des juges exceptionnels, la cour plénière. Quelle est la cause qui n’attendrait avec tranquillité, d’un tel lit de justice, les solennels arrêts qui la termineront ? Et cependant, autour

  1. Libre Parole et Intransigeant du 12 mars 1899.
  2. Sénat, 21 mars, en réponse à une question de Joseph Fabre sur la circulaire de la Patrie française que j’avais révélée.
  3. Courrier de Genève du 13 mars. (Voir p. 5.)
  4. « Cet Italien, plus diplomate que prêtre… » (Lettre de Gambetta, du 20 février 1878.)