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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il est probable que ses lettres à Carrière, que celui-ci jeta au panier, « parce qu’il n’y avait rien dedans[1] », étaient du même ton et aussi dénuées d’intérêt.

Mais Esterhazy écrivit aussi à Mercier, — pour plus de sûreté sous le couvert de Saint-Germain[2] ; — Mercier se garda d’en aviser Jouaust, comme avait fait Roget ; et Jouaust, sur ces entrefaites, reçut d’Esterhazy une lettre où, cette fois, il n’y avait pas seulement des injures :

Quant à la culpabilité de Dreyfus, lui écrivait Esterhazy, elle ne ressort pas du bordereau ; elle ressort d’ailleurs, de ce que devait dire le général Mercier et de ce qu’il n’a pas dit ; elle ressort de ce qui éclaterait comme une fanfare de trompette si ce gouvernement ignoble n’avait fait de la vieille et grande France une chose sans nom, tremblant de peur à la pensée du canon de l’ennemi… Dreyfus est un misérable, mais vous êtes de bien lâches coquins[3].

Relisez la lettre d’Esterhazy à Félix Faure sur le document libérateur : « Cette pièce est un danger pour mon pays, parce que sa publication, avec le fac-similé de l’écriture, forcera la France à s’humilier et à faire la guerre[4]. »

Et c’est exactement le secret de Mercier.

  1. Rennes, III, 394, Carrière.
  2. Dép. à Londres, 111.
  3. Cette lettre à Jouaust, qu’Esterhazy a publiée lui-même en 1901 (Dép. à Londres, édit. du Siècle, 217), ne porte pas de date, mais est certainement de septembre, des derniers jours du procès : « J’ai écrit à maintes reprises au général Roget… » Or, les lettres à Roget sont des 19, 21. 22, 25 et 30 août.
  4. Voir t. II, 656.