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CHAMBRES RÉUNIES


de cet appareil grandiose et rassurant de la légalité, vous ne désarmez pas ! S’agirait-il d’un autre prévenu que l’innocent ou le coupable qu’ont introduit ses juges ? La vraie accusée ne serait-elle pas la République ? Qu’on n’espère pas, en tout cas, faire de cette affaire de partis une affaire de religion. Notre religion a déjà consacré la juste cause de plusieurs millions de martyrs. À qui le Colisée a-t-il conté ses drames lamentables qu’ont à tout jamais étouffés la poussière des ruines et le pardon des saints ? Notre leçon est, avec notre Maître, au Calvaire. Heureuse la victime que Dieu reconnaît assez juste pour assimiler sa cause à celle de son propre Fils sacrifié[1] !

Rome n’a coutume ni d’avancer l’aiguille sur le cadran ni d’attendre, pour élever une voix devenue inutile, que le dernier coup ait retenti. Apparemment, du haut de l’observatoire qui domine le monde, on avait enfin la claire vision, non seulement des faits de la cause, mais des temps qui étaient proches où cette entreprise des Jésuites contre la France de la Révolution tournerait au désastre pour l’Église, si elle s’obstinait à l’impossible, dans l’absurde iniquité. De là ce grave avertissement, sous une forme qui n’avait rien d’officiel, mais tout y était, l’appel à l’humanité, l’hommage aux magistrats calomniés, l’espoir d’un verdict « définitif » des juges civils, le refus net de laisser compromettre davantage l’autorité du Saint-Siège, la comparaison, qui de tout autre eût paru sacrilège, entre le martyr de l’île du Diable et le crucifié du Golgotha.

Ces agitateurs catholiques qui dans leur folie ou leur rage froide, n’avaient plus rien de chrétien, sollicitèrent, attendirent un démenti. Et, comme rien ne vint plus qu’un sévère silence, les dévotes firent dire des messes pour le pauvre pape.

  1. Figaro du 15 mars 1899.