Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/472

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
462
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


(trente francs au boulanger, cent dix au crémier, qui se refusaient à rien livrer, trois mois de gages à son unique domestique, qui commettait des escroqueries, pour nourrir ses maîtres, chez les fournisseurs) ; en juin, pour se cacher de ses créanciers, il déménagea d’un petit rez-de-chaussée qu’il occupait à Passy et prit logement dans un hôtel garni avec sa femme ; pour leurs enfants, il les avait laissés à la campagne, « dans un abandon complet[1] ». Cependant, il alla chez Quesnay, qu’il avait connu dans l’Orne et qui le prenait pour ce qu’il se donnait, un gentilhomme et un prince du Danube, et il lui raconta son roman, d’abord « avec quelque hésitation », dans « la crainte de compromettre l’officier prussien dont il avait reçu les confidences », puis, à une deuxième visite, « sans réserve, ses additions n’étant que le raccordement de ses réticences du premier jour[2] ». L’histoire était imbécile : à l’automne de 1894, peu de temps avant l’arrestation de Dreyfus, Cernuski avait vu, sur la table d’un officier allemand, de passage à Paris, un lot de papiers du ministère de la Guerre ; l’officier lui avait nommé son fournisseur qui n’était autre que « ce canaille de juif », et deux autres officiers de la même armée le lui avaient confirmé par la suite[3].

Quesnay trouva la révélation d’autant plus admirable qu’il était encore tout meurtri de son aventure avec

  1. Dossier de Rennes. — Clemenceau, dans l’Aurore du 6 septembre 1899, reproduit le billet par lequel Cernuski s’engage à payer a sa crémière, Mme Prinborgne, fin août, « dans son domicile judiciaire », la somme de 110 francs, « valeur reçue en marchandises ». — Quesnay : « M. et Mme Cernuski étaient très pauvres. »
  2. Écho du 3 juin 1900.
  3. Écho du 30 juillet 1899, dossier de Quesnay, 24e témoin.