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RENNES


au conseil, mais qu’il se tenait à la disposition des juges, dans son hôtel[1] ».

Carrière s’attendait à une intervention véhémente de la défense, mais elle resta coite, ne demanda même pas qu’un médecin assermenté fût envoyé à Cernuski ; on le vit le jour même dans les rues[2] et il repartit le lendemain pour Paris. Le silence des avocats voulait dire : Est-ce qu’une telle défaite, une reculade si piteuse ne suffisent pas à donner la valeur de l’individu[3] ?

Il n’est pas du tout certain que ce dédain n’ait pas été une faute. Ceux des juges qui avaient pris au sérieux les mensonges de Cernuski pouvaient très bien croire à sa soudaine indisposition, de beaucoup moins invraisemblable, ou bien y voir la crainte de se laisser aller à dire publiquement ce qui devait être tenu

  1. Rennes, III, 514. — Les deux négociants qui l’avaient accompagné étant repartis pour Paris, Cernuski télégraphia à sa femme de le rejoindre à Rennes. Selon Deglas, il était déjà malade (d’émotion et de peur, à cause des attaques des journaux) quand il se présenta à l’audience secrète du 6 septembre. (Procès Dautriche, 667.) Selon Ridel, garçon du Grand-Hôtel, « il n’était pas indisposé ». (Commission rogatoire du 5 avril 1904.) — La Sûreté lui avait détaché l’inspecteur Caillard qui lia connaissance avec lui, n’en put rien tirer : « Il n’était pas malade du tout. » (Rapport.) — Sa femme raconta par la suite qu’on l’avait empoisonné.
  2. Cass., IV, 192, Baudouin.
  3. Demange se réserva pour la plaidoirie ; tout à fait à la fin de la séance, Labori versa au dossier des renseignements qu’il avait reçus sur Cernuski : « Il a été mis sous tutelle à Zurich pour aliénation mentale ; il est connu (à Vienne) comme aliéné », et s’expliqua sommairement : « Nous aurions pu penser hier à faire rechercher et appeler deux ou trois personnes qui ont été désignées par Cernuski ; en ce qui me concerne, la maladie de Cernuski, qui doit donner au conseil la valeur de son témoignage, me détermine a ne plus rechercher ces témoins qui n’ont plus aucune espèce d’intérêt. Cependant, il serait utile de tout faire pour que Cernuski vînt à la barre… Peut-être y aurait-il lieu de s’assurer si son état de santé lui permettrait de venir. » Mais nulle proposition ferme.