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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pesé, il me semblait préférable que Labori restât libre, sous sa responsabilité, de prononcer le discours qu’il avait préparé ou d’y renoncer comme il y avait déjà songé de lui-même[1]. Aussi bien, même volontaire, son silence aura plus d’inconvénients que sa rhétorique ; erreur de l’avoir adjoint à Demange, erreur encore de lui retirer la parole à la dernière heure, ou de l’engager à ne pas la prendre ; personne ne sera dupe du soudain mutisme d’un orateur de son tempérament et, comme presque tous les orateurs, aussi amoureux de sa parole ; les adversaires crieront à la reculade ; les discours, qui ne changent pas beaucoup d’opinions et encore moins de votes dans les assemblées politiques, n’en modifient pas beaucoup plus dans les prétoires ; enfin, je le savais aussi capable de prudence que d’emballement et assez maître de lui-même, malgré qu’il n’y parût pas toujours, pour étonner tout le monde par sa modération.

Bien que nous nous fussions entretenus, avant son départ pour Rennes, de son plaidoyer ; je ne connaissais pas alors ce qu’il en avait écrit, selon sa méthode de travail, et qu’il publia l’année d’après[2] ; j’en eusse été

  1. Je m’étais ouvert à Gast des craintes qui m’étaient venues au sujet de Labori et je l’avais prié de consulter Picquart. Tous deux furent nettement d’avis qu’il ne fallait pas lui demander de renoncer à la parole. D’ailleurs, Labori avait dit récemment à Gast qui lui parlait de sa plaidoirie : « Il est très possible que je ne plaide pas, il me semble que j’ai terminé ma tâche. » (Lettre du 31 août 1899.) Au surplus, selon Gast, « sa prudence augmentait tous les jours et les généraux (Roget, Boisdeffre, etc.) lui faisaient des politesses, en dehors de l’audience. C’est donc qu’ils le craignent. »
  2. Grande Revue du 1er  février 1900 et Rennes, III, 755 à 807, notes de plaidoirie pour le procès de Rennes : « Mon mode de travail qui consiste à préparer des notes assez complètes que je résume pour l’audience et que j’amplifie ou dont je modifie suivant les besoins l’ordre et la forme en plaidant, m’a permis