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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rité favorable dès le début, qui soutenait le combat. Trois ou quatre membres de la Chambre civile lui vinrent en aide avec beaucoup de vigueur. La résistance était autour de Dareste, de Rau, de Crépon : quelques juges de parti-pris, d’autres en proie encore à ce pire dérèglement de l’esprit, dont parle Bossuet, « qui est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient ».

Après la déposition de Paléologue, plusieurs, qui avaient lutté jusqu’alors contre l’évidence, se déclarèrent convaincus. Certaines séances furent terriblement orageuses, plus pareilles à des réunions parlementaires qu’aux séances d’une haute cour de justice ; les interpellations se croisaient ; la haine et l’amour de la vérité, la colère, toutes les passions déchaînées au dehors, grondaient dans les discours. Mazeau, quelquefois partial, présida avec beaucoup de dignité.

Les journaux, autour de cette grande compagnie, continuèrent leurs polémiques ; mais la rue resta tranquille. Les « patriotes », sans Déroulède, étaient sans initiative ; Guérin s’occupait à installer sa ligue (son « Grand Occident français » contre le « Grand Orient maçonnique »), dans une maison de la rue de Chabrol. Sauf à Avignon, où Pressensé faillit être assommé par des nervis[1], les antisémites de province étaient pareillement au calme. Quesnay fit quelques conférences, mais, déjà, lassait, ennuyait. Le duc d’Orléans se promenait en Sicile. Buffet, toujours en ébullition, lui télégraphia que le prince Victor « négociait » avec les généraux (Berge, Thomassin), mais le duc n’en crut rien et refusa de « se rapprocher[2] ». C’était l’entr’acte, où les armées se reposent, se refont, sondent l’avenir.

  1. 25 avril 1899.
  2. Haute Cour, I, 113, dépêches du 16 mai et du 1er  juin.