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L’AMNISTIE


dans l’armée, car l’annulation par le Conseil d’État du décret qui l’a frappé est « inévitable », — il l’écrit lui-même, — et c’est pour faire pièce à Waldeck-Rousseau qu’il rend impossible la réparation de l’injustice.

Il ne le dit pas dans sa lettre, mais des amis le diront pour lui : « Il ne veut pas rentrer dans l’armée par la porte basse de l’amnistie ; il lui eût fallu le jugement de ses pairs. » Or, si Waldeck-Rousseau l’a soustrait par l’amnistie au conseil de guerre, voici que lui-même, par le retrait de son pourvoi, il se soustrait à d’autres juges militaires. En effet, l’arrêt du Conseil d’État « ne peut porter », comme il convient, « que sur la forme », et, dès lors, comme l’amnistie ne s’étend pas aux peines disciplinaires, ou bien André déchirera la plainte de Billot contre Picquart, ou il l’enverra devant un autre conseil d’enquête, celui de Tunis, que Picquart a réclamé dans son pourvoi et qui, seul, en effet, aurait été compétent[1]. « C’est le fond, écrit Picquart, qu’il serait particulièrement intéressant de mettre en lumière », — c’est-à-dire l’inanité des charges contre lui et toutes les fourberies d’Henry pour le perdre. Ce sont exactement les mêmes charges qui ont été invoquées devant le conseil d’enquête et devant le conseil de guerre : l’affaire Boulot et celle des pigeons ; le conseil d’enquête, tout comme le conseil de guerre, aura à prononcer sur ce fond ; Picquart y pourra appeler les mêmes témoins, y faire pareillement la preuve qu’il a été accusé à tort ; et il retire son pourvoi !

Contradiction sur contradiction ; de tous les arguments qu’allègue Picquart pour justifier son acte, aucun qui ne se retourne contre lui ou qui soit digne de

  1. Voir t. III, 323.