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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le plus affligeant ; la rupture entre les Dreyfus et Labori, qui fut soutenu par Picquart.

Les relations entre Mathieu Dreyfus et Labori, déjà troublées avant Rennes, n’y étaient pas devenues moins difficiles. L’attentat où Labori faillit perdre la vie accrut la reconnaissance de Mathieu, très chaud de cœur et, au contraire de son frère, expansif ; mais il ne modifia ni leurs caractères, ni leurs idées, ni leur sensibilité. La balle tirée par l’inconnu ne rendait pas plus sensés (ou plus faux) les raisonnements de Labori, ni plus acceptable sa prétention de mener à lui seul tout le procès. Une blessure n’est pas un argument. On vit s’élargir à chaque audience son désaccord avec Demange, qui parut au Lord chief justice d’Angleterre le fait le plus extraordinaire du procès de Rennes[1]. Bien que Labori, de son propre mouvement, eût songé à renoncer à sa plaidoirie[2], il considéra comme une offense que la même pensée fût venue à Bernard Lazare, qu’il tenait comme un simple truchement des Dreyfus[3], et ne tint aucun compte à Mathieu de ses instances pour qu’il gardât la parole ; il n’y vit qu’un jeu, lui en voulut encore plus qu’à Bernard Lazare, qui était resté constamment hostile à son intervention, et imagina que c’était Waldeck-Rousseau qui avait voulu étouffer sa voix[4]. — Il publia par la suite[5] ce discours rentré qui n’aurait rien changé au résultat, mais qui lui en aurait fait porter tout le poids, et il y revenait

  1. Voir t. V, 411.
  2. Voir t. V, 516.
  3. « Labori s’est vu fermer la bouche par la volonté de son client. » (Picquart, dans la Gazette de Lausanne, du 1er  février 1904.)
  4. Voir t. V, 363, l’article de Picquart dans la Gazette de Lausanne.
  5. Grande Revue du 1er  février 1900.