Ainsi, il était de sa destinée que les hommes, amis ou ennemis, le méconnaîtraient, qu’il serait opprimé par tous les événements.
Mathieu savait écouter, deviner la pensée de ses interlocuteurs, entendre leurs silences. Vers novembre, à la veille du débat final sur l’amnistie, le mécontentement s’accrut. Mathieu redoutait moins les risques personnels que son frère pourrait courir à Paris, « encore frémissant, croyait-on, de l’Affaire », que des manifestations et des troubles dans la rue qui amèneraient le gouvernement à l’éloigner. Cependant il passa outre à ses craintes, décida qu’il fallait montrer son frère et le manda à Paris[1].
Dreyfus, dès qu’il connut les motifs qui déterminaient Mathieu, accourut. Les journaux, le soir même, annoncèrent son arrivée, mais il ne se produisit aucun incident. Des passants montraient la maison de son beau-père, disaient : « Dreyfus est là… », et s’éloignaient. Pas un cri, pas un attroupement. Et même calme le lendemain.
La simplicité de Dreyfus, sa modestie, la pudeur de ses souffrances passées, sa claire raison, plurent fort à Duclaux, à Gaston Pâris, à Trarieux et à Ranc, à Jaurès, à Zola qui se prit pour lui « d’une grande admiration et d’une grande tendresse[2] » ; d’autres, qui souhaitaient d’être émus, ne le furent pas, et lui en voulurent. Ce n’est pas l’homme qui revient de l’enfer, c’est un fonctionnaire qui fait sa tournée de visites. Il avait développé dans l’adversité des qualités très