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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rares d’intelligence et de cœur ; il n’avait point l’art de les faire valoir.

À peine arrivé, il écrivit à Picquart une lettre, à la fois affectueuse et hiérarchique, — du capitaine au lieutenant-colonel ; — il a hâte de lui exprimer de vive voix toute sa reconnaissance, demande quel jour il pourra se présenter chez lui. Picquart ne lui répondit pas.

Il n’avait jamais eu de sympathie pour Dreyfus ; de plus, sa maladie, l’antisémitisme, le reprenait ; ni ses propres erreurs, où le préjugé ethnique n’avait pas été étranger, au début de l’Affaire, ni, par la suite, la défense, qui lui avait valu sa gloire, du juif innocent, ne l’avaient guéri[1]. Surtout, il s’était persuadé, lui aussi, qu’il existait « un pacte secret », tout au moins « un accord tacite » sur l’amnistie entre Dreyfus, « ou ses conseillers », et Waldeck-Rousseau. « En acceptant la grâce, Dreyfus a rendu l’amnistie possible[2] » ; il ne le lui pardonnait point.

Intelligence cultivée, mais étroite ; conscience droite, mais dure. À un livre[3] que je lui dédiai vers cette époque, je mis cette épigraphe qui ne lui déplut point : Duræ virtutis amator. L’un des artisans de la justice, quand ses passions ou ses rancunes étaient en jeu, il devenait injuste. Rencontrant Demange au Palais, il lui refusa la main, à cause de sa plaidoirie de Rennes.

  1. « Il lit la Libre Parole assidûment. » (Gabriel Trarieux, dans le Journal de Genève du 5 mai 1901.)
  2. Picquart, dans la Gazette de Lausanne du 2 mai 1903. — Dans le même article : « Déjà l’exposé des motifs présenté à l’occasion de la grâce par le général de Galliffet au Président de la République, montre que cette faveur était achetée au prix d’une amnistie. »
  3. Les Blés d’hiver, recueil de mes articles sur le procès de Rennes et contre l’amnistie.