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LE BORDEREAU ANNOTÉ

Cependant le retour de Dreyfus n’avait point désarmé Labori. Il s’était imaginé que Paris en serait « révolutionné », ne revenait pas de l’indifférence du public et criait que « c’était la fin[1] ». Ne pouvant s’y résigner, il inventa, le mois d’après, une nouvelle exigence. Il fallait maintenant que Mathieu révélât les pourparlers qui avaient précédé la grâce, ma démarche chez Waldeck-Rousseau, la délibération chez Millerand, la parole de Millerand engagée à Mathieu, la lettre de Galliffet ordonnant d’ouvrir à Mathieu la prison de Rennes pour décider son frère à retirer son pourvoi, les hésitations de Loubet, Millerand offrant sa démission et Mathieu rendant sa parole à Millerand.

Ainsi la version officielle de la grâce sera démontrée mensongère ; ni l’amnistie, ni le ministère ne résisteront au scandale.

Il est probable que Mathieu, tout hostile qu’il fût à l’amnistie, ne dissimula point la surprise que lui causait une aussi audacieuse proposition ; en tout cas, il refusa formellement de s’y prêter. Si Waldeck-Rousseau a justifié la grâce par la pitié, c’est que la politique l’y obligeait ; pourtant les faits ont parlé plus haut que les mots ; la grâce d’un homme condamné pour trahison, quand elle est prononcée au lendemain même de cette condamnation, ce n’est pas seulement de la clémence ; surtout, d’honnêtes gens ne livrent pas les secrets d’un gouvernement qui a eu confiance en eux, a conversé, collaboré avec eux dans une heure

  1. « Le lendemain de l’arrivée de mon frère, même calme, même tranquillité. J’en fis part à Labori et je lui manifestai ma grande satisfaction que tout se fût passé sans incident : « Ah ! s’écria-t-il, nous sommes f… ! Comment, pas un cri, rien ! l’arrivée de votre frère ne révolutionne pas Paris : c’est bien la fin ! » (Souvenirs inédits de Mathieu Dreyfus.)