Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
221
LE BORDEREAU ANNOTÉ


peur aujourd’hui ? Est-ce d’achever la déroute de l’ennemi ? On redoute une agitation qui ne se produira pas. L’amnistie a mis à l’abri de tout châtiment les grands coupables ; ils ne lutteront pas pour ce qui lui reste d’honneur comme ils ont lutté pour la vie. Aussi bien, s’il y a quelque chose d’intolérable, c’est « l’interprétation unilatérale de l’amnistie par les partis de droite ». Jaurès n’a pas été des adversaires de l’amnistie ; d’autant plus il se refuse, et les républicains doivent se refuser, à être dupes plus longtemps « de la tactique perfide de l’ennemi ». Les nationalistes, au nom de l’amnistie qu’ils n’ont d’ailleurs pas votée, prétendent interdire aux partisans de Dreyfus de rechercher des preuves nouvelles de son innocence ; en même temps, ils se réservent le droit d’exploiter contre tous les républicains « ce qui peut rester encore d’obscurité dans les esprits[1] ». Ainsi ont-ils fait à l’époque des élections, avec l’affiche de la Patrie française, et ainsi font-ils encore en cherchant à rattacher l’affaire Dreyfus à l’affaire Humbert.

Cette affaire, que Waldeck-Rousseau avait appelée « la plus grande escroquerie du siècle[2] », passionnait alors l’opinion. — Frédéric Humbert, fils d’un ancien professeur de droit qui avait été député à l’Assemblée nationale, sénateur, ministre de la Justice, procureur général et premier président de la Cour des comptes, avait épousé une campagnarde des environs de Toulouse, Thérèse Daurignac, sans fortune, mais plaisante, vive, toujours en mouvement, bonne femme, de l’esprit naturel, intrigante et entreprenante, le génie des affaires, et avec une manière d’éloquence, bien

  1. Discours du 6 avril 1903. — Voir p. 232.
  2. Plaidoyer pour Duret contre les époux Humbert, devant le tribunal de commerce d’Elbeuf, le 14 juin 1898.