Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
LE BORDEREAU ANNOTÉ


bien plus, le président[1] lui dit « qu’elle le remerciait » d’être venu devant elle (pour lui refuser son témoignage) et « qu’elle était très touchée de cet acte de déférence[2] ». Nul moyen, évidemment, puisqu’il ne voulait point parler, de l’y contraindre. Au moins pouvait-on lui faire observer que ses bavardages n’étaient point du ressort de la Haute-Cour et qu’il n’était pas fondé à invoquer le secret professionnel, puisqu’il avait communiqué à Judet sa lettre à Waldeck-Rousseau et qu’il en avait fait une copie que Cochin avait vue. On n’insista même pas pour savoir de lui si la phrase citée était textuelle et s’il acceptait l’injurieuse explication qu’en avait donnée la Patrie française. Lemaître et Judet purent donc dire tout ce qu’ils voulaient ; l’authenticité parfaite de la citation parut hors de doute, Syveton justifié d’en avoir fait usage. Le rapporteur Beauregard, concluant à la validation, exprima seulement le regret que, « de part et d’autre, des violences eussent été échangées par voie d’affiches ».

Comme la grande majorité de la Chambre connaissait fort médiocrement l’Affaire, elle suivit parfois avec peine la démonstration de Jaurès. Elle fut frappée des apparitions répétées du faux impérial, tout le long du drame, mais sans accepter qu’il eût déterminé les convictions des récalcitrants, pour qui on l’aurait fabriqué, et des juges de Rennes. Quand Jaurès lisait des extraits des journaux où l’existence du bordereau annoté était formellement affirmée, la Droite affectait d’en rire et de s’étonner qu’on pût accorder quelque importance aux histoires répandues par la presse, fût-ce par Drumont et la Croix. Millevoye avait,

  1. Riotteau.
  2. Rapport Beauregard, 123.