Si la lettre, en effet, n’avait été versée ni au dossier de la Chambre criminelle[1] ni à celui du conseil de guerre, Pellieux en avait lui-même fait publier les principaux passages, le surlendemain du jour où il l’avait écrite[2], et Drumont avait annoncé alors la démission du général[3]. Mais l’incident avait échappé à beaucoup de députés, ou ils ne s’en souvenaient plus.
Dès que Jaurès a donné lecture de la lettre de Pellieux, Brisson se lève : « Pardonnez, lui dit-il, à mon émotion de vous interrompre ; vous avez dit, si je vous ai bien entendu, que cette lettre du général de Pellieux est datée du 31 août 1898. » « Oui », réplique Jaurès. « Président du Conseil d’alors, s’écrie Brisson, je déclare que le gouvernement dont je faisais partie n’en a pas eu connaissance. »
La gauche, l’extrême-gauche éclatent en applaudissements, se tournent vers Cavaignac, qui est devenu blême, mais qui, résolu à son ordinaire, réclame de son aigre voix la parole. Au centre et à droite, quelques députés, Berry, Rouland, le journaliste Berthoulat, ont gardé le souvenir de l’incident ; ils crient que « la lettre avait paru dans tous les journaux », que Brisson, prévenu, trop visiblement, par Jaurès, s’est préparé « un effet d’audience » ; son émotion, sa véhémente interruption ne sont pas improvisées.
C’est ce que dit également Cavaignac au milieu de la tempête des gauches, déchaînées maintenant contre lui comme pour se venger des ovations d’autrefois,