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L’ENQUÊTE


et tout le gros des radicaux qui avaient voté avec Chapuis.

Comme il fallait pourtant avoir l’air de faire quelque chose, les nationalistes, présidés par Cavaignac, votèrent un ordre du jour. Ils protestèrent que Combes et André avaient commis « une sorte de coup d’État politique » et que c’était « la préface d’un coup d’État judiciaire[1] ».

Il ne restait qu’une chance aux amis de Mercier : c’était que la Cour de cassation hésitât à aller jusqu’au bout de la justice et renvoyât Dreyfus devant un troisième conseil de guerre. De là, ce mot de « coup d’État judiciaire » pour inquiéter les juges, piquer l’irréductible soldat qu’était Dreyfus, lui arracher le cri qu’il ne voulait être jugé que par ses pairs.

Dreyfus, édifié maintenant sur la justice de « ses frères d’armes », garda le silence ; il lui parut qu’il ne devait ni réclamer par forfanterie des juges militaires, ni paraître les suspecter et en avoir peur. C’était la seule attitude qui lui convînt ; Mornard la lui conseilla, ainsi que tous les amis qui lui étaient restés fidèles.

Tout de suite Clemenceau se déclara bruyamment contre la cassation sans renvoi. Il était rentré depuis peu à l’Aurore, plus combatif que jamais, aussi alerte à soixante ans passés qu’aux beaux jours de sa jeunesse, et toujours aussi léger. Il vient de proposer au Sénat la suppression des conseils de guerre[2] ; nul n’a écrit sur « l’injustice militaire[3] » des pages plus

  1. 2 décembre 1903. — L’ordre du jour porte les signatures de Cavaignac, président, Gauthier (de Clagny) et Rousset, vice-présidents, Syveton, secrétaire. — Les ligues « patriotique » et anti-juive affichèrent un manifeste qui reprenait les mêmes formules.
  2. 11 juin 1903.
  3. C’est le titre du recueil de ses articles sur le procès de Rennes.