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L’ENQUÊTE


temps président du tribunal civil de la Seine, où il avait rendu des jugements dans les affaires Humbert, ce qui lui valut par la suite les soupçons de Drumont, ni plus ni moins perspicace que les autres juges, mais la science même, le répertoire le plus exact, plus abondant qu’éloquent, surtout robuste, plein de saillies, d’une verve qui ne tarissait pas, intempérant parfois et sans mesure, mais toujours sincère avec lui-même et passionné de justice. Au physique, petit et sans beaucoup de mine, sans rien non plus de cette fausse sévérité qu’affectent les gens de robe, et le visage et le corps toujours en mouvement comme l’esprit. — Bien qu’il se fût « tenu à l’écart de l’Affaire », par scrupule de magistrat « qui peut être appelé à connaître quelques-uns des points du litige », il ne s’était point gardé aussi complètement qu’il s’en flattait « de toute prévention[1] ». De son aveu, il a été « singulièrement touché » par les deux condamnations de Dreyfus. Il avait admis la possibilité « d’une première erreur » ; mais « comment croire » que l’erreur ait été répétée, « qu’un innocent ait été condamné par deux fois » ? Il a lu les débats de Rennes et n’y a trouvé aucune preuve contre Dreyfus ; mais la sténographie des journaux est-elle fidèle ? « Mercier la déclare d’une inexactitude flagrante. » Apparemment, la preuve est au dossier secret qui, cette fois, a été dépouillé correctement, en présence de l’accusé et de la défense[2].

Ainsi ce qui avait été pour tant d’autres l’évidence accablante des faits ne l’avait pas été plus pour Baudouin que pour André, et la vérité n’avait pas lui davantage pour le magistrat que pour le soldat.

  1. Cass., IV, 57, Baudouin (réquisitoire du 3 mars 1904).
  2. Cass., IV, 58 et 59, Baudouin.