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L’AMNISTIE


les chefs de l’ancien État-major et de nombreux officiers, Picquart lui-même qui en est convenu, ont connu à l’époque son acte et l’ont approuvé, sans le moindre scrupule de conscience et par ignorance du droit. Trarieux, tout ancien ministre de la Justice qu’il fût, n’a-t-il pas dit au procès de Zola : « Si Dreyfus était un traître, la forme eût-elle été violée contre lui, je n’oserais élever la voix et je ne le ferais pas[1] » ? La majorité du Sénat, qui a voté la loi de dessaisissement, condamnera-t-elle Mercier ? Un gouvernement, pour peu qu’il soit sage et prévoyant, ne se lance pas dans une telle aventure. Quand les passions auront cédé à l’action du temps, quand les juges ne se croiront pas, comme à Rennes, appelés à choisir entre Mercier et Dreyfus, quand les coupables, couverts par l’amnistie, n’auront plus un intérêt personnel à faire maintenir la condamnation d’un innocent, alors, mais alors seulement, on pourra achever l’œuvre interrompue. Il suffira d’ailleurs de très peu d’années pour désarmer les haines, car la résolution que la France tient le moins, c’est celle de haïr. Ainsi l’amnistie, préjudiciable en apparence à Dreyfus, le servira. Et, certainement, il est pénible, après avoir tant réclamé la justice, d’accorder le bénéfice de l’impunité à des coupables avérés. Mais la justice est-elle toute la politique ? Mercier et ses complices ne seront pas les premiers criminels qui auront été amnistiés, parce que l’intérêt général aura commandé d’effacer les traces d’une guerre civile et de pacifier les esprits.

Waldeck-Rousseau, rien qu’à regarder à l’événement, a vu très avant. Pourtant, de ce que l’amnistie n’a point empêché la revision, ou même de ce qu’elle l’a rendue

  1. Procès Zola, I, 180. — Voir t. III, 357.