Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
313
L’ENQUÊTE


a longtemps qu’il l’aurait chassé de l’armée. — Mais tous les autres parlent maintenant sans passion, sans conviction même apparente, machines fatiguées, usées, dont les ressorts grincent faute d’huile, résignés à la défaite finale qui, grâce à l’amnistie, ne les atteindra ni dans leurs grades ni dans leur liberté. Le faisceau des preuves d’où résultait la culpabilité du juif s’est rompu. Elles gisent à terre, brisées et souillées, et on ne les y ramasse pas.

L’accusation a eu quatre systèmes successifs[1]. Le premier, de d’Ormescheville, reposait sur le bordereau, la similitude d’écriture ; le second, d’Henry, sur son faux, démonstration a posteriori ; le troisième, de Cuignet, sur les aveux, la discussion technique du bordereau et le dossier secret ; le quatrième, à Rennes, sur les lettres falsifiées de Panizzardi et sur le bordereau annoté. Tous ces systèmes sont ruinés. Ni Roget, ni Boisdeffre, ni même Mercier, n’allèguent plus les aveux ou les pièces authentiques du dossier secret, qui ne s’appliquent pas à Dreyfus, ou les pièces qui n’ont pu lui être appliquées, à Rennes, que parce qu’elles sont fausses ou frauduleuses. Comme il faut cependant que Dreyfus reste coupable et comme il ne suffit pas de dire qu’il ne peut pas être innocent, chacun de ses anciens accusateurs a sa preuve particulière : Roget, le prétendu « soulagement » de Dreyfus, à Rennes, quand Lonquéty a hésité à placer en 1894 leur rencontre à Bruxelles[2] ; Du Paty, comme on l’a vu, la prétendue superposition des encoches ; Zurlinden, le gabarit du commandant Corps ; Mercier, le gabarit de Bertillon et Billot, « la chose jugée ». Mais aucun

  1. Mémoire Mornard, 7 et suiv. ; Baudouin, Réquisitoire, 322 et suiv.
  2. Rennes, II, 184.