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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


« d’avoir empêché la vérité de se produire[1] ». Il n’avait ni éprouvé cette basse crainte ni écrit ces sottises, mais il trouvait plaisant de se les attribuer, comme de répéter « qu’il avait été roulé[2] ».

Freycinet rusa, élégamment, avec les faits, comme il avait coutume de ruser avec les hommes. Ainsi il n’avait plus qu’entrevu « le profil », « la silhouette » d’Esterhazy « sur la porte de son cabinet[3] ». Comme il s’appliquait à dire indistinctement du bien de tout le monde, il fit l’éloge de Cuignet ; Baudouin observa qu’il avait accepté que Cuignet l’entretînt « d’un acte de forfaiture et de trahison commis au profit de l’Italie par un des membres de la Chambre criminelle[4] ».

  1. Il avait dit exactement le contraire à la Chambre. (Voir p. 47.)
  2. il s’expliqua assez longuement sur la grâce : « C’est de ma propre volonté que la demande de grâce a été faite, sans aucune demande de la part de Dreyfus ; mais, du moment qu’il renonçait à son pourvoi, il nous mettait en droit de le faire gracier. » Deux ans auparavant, dans un mouvement d’humeur, il avait écrit au Journal des Débats : « En signant son recours en grâce, il s’est reconnu coupable. » (31 juillet 1902.) Dreyfus répondit en racontant dans quelles conditions il avait consenti à retirer son pourvoi : « Je n’ai pas demandé ma grâce, je l’ai acceptée. » (4 août 1902, lettre au gérant du Journal des Débats.) Il rappela dans la même lettre les propos que Galliffet m’avait tenus quelque temps avant : « Le bordereau est d’Esterhazy qui avait deux complices. Quant à Dreyfus, il n’a jamais eu de rapports avec l’Allemagne. Quelqu’un que je ne puis pas nommer m’a dit, à Marienbad, que Dreyfus aurait été au service de la Russie. » (Voir p. 380.) — Galliffet maintint que l’attaché militaire anglais Talbot lui avait dit : « Quand nous avons besoin d’un renseignement, il ne s’agit que d’y mettre le prix et c’est Esterhazy qui nous le fournit. » (Voir t. IV, 449). Talbot avait prétendu, en 1899, que Galliffet, en relatant leur conversation avait forcé la note (Cass., III, 138). Mais Galliffet l’a revu, « lui a rafraîchi les souvenirs et Talbot n’a pas insisté ».
  3. Voir t. II, 65 et suiv. — « J’ai vu le major Esterhazy… » Lettre (autographe) du 1er  novembre 1892, au général Galimard.
  4. « Des propos, j’en ai entendu beaucoup… Je n’ai pas ob-