Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
L’AMNISTIE

Ce qui détermina avant tout le courant fut une cause presque physique, le besoin profond de repos qu’avait le pays après ces deux années, les plus intenses qu’il eût vécues depuis la guerre. Comme courbaturé après cet effort trop prolongé, il demandait qu’on lui laissât détendre ses membres, ses nerfs. Quel autre pays au monde se fût ainsi déchiré, et aussi longtemps, pour la cause d’un seul individu ? Vraiment, on a droit à souffler un peu, à retrouver un peu de calme, à n’entendre plus parler de quelque temps de cette cruelle histoire qui a brisé tant de liens de famille, rompu tant d’amitiés, qui, chaque fois qu’on en reparle, fait éclater à nouveau les passions !

Cette fatigue matérielle, après tant d’agitations, après une telle crise, il n’y avait aucune honte à l’avouer ; mais les intérêts, en France, appellent presque toujours le sentiment à la rescousse, se décorent, se relèvent d’une belle formule ; ici encore, ce fut le cas.

Lavisse, avec sa double autorité d’éducateur et d’historien, propose « la réconciliation nationale[1] ».

Rappelant la parole fameuse du chancelier de l’Hôpital : « Ôtons ces mots diaboliques de huguenots et de papistes », il supplie « qu’on ôte ces mots plus diaboliques encore de dreyfusards et d’antidreyfusards », qu’on fasse, de part et d’autre, « le sacrifice de ses haines ».

Est-ce possible ? Comme Lavisse lui-même convient que « la grandeur et la capitale importance de l’Affaire, c’est d’avoir mis aux prises deux façons différentes de comprendre notre vie nationale », « ce qui est et ce qui veut être », et que « ces deux Frances, entre les mêmes frontières », tant qu’il y aura une France, continueront

  1. Revue de Paris du 1er octobre 1899.