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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/34

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à se combattre, les adversaires de l’amnistie ont beau jeu pour railler ce projet « d’embrassade générale », et Clemenceau n’y manque pas[1]. Mais Clemenceau annonce aussi que l’incendie va redoubler de fureur, et c’est le contraire qui apparaît déjà ; car un incendie, auquel son principal aliment a été enlevé, est condamné à décroître ; il flambe encore quelque temps, crache de la fumée et du feu, mais il ne s’étend plus, en attendant qu’il s’épuise peu à peu, s’éteigne de lui-même.

Une autre considération, qui ne procédait pas seulement d’une pensée d’union, rangea les républicains actifs du côté de l’amnistie.

Le cas de Dreyfus n’a pas seulement mis aux prises l’ancienne France et la nouvelle, mais aussi les républicains entre eux, on l’a assez vu au cours de ce long récit, les radicaux comme les modérés, et la majorité des républicains est loin encore, au lendemain de la grâce, d’être convertie à l’innocence du Juif. Il y en a encore beaucoup qui se roidissent contre l’évidence, des cœurs faibles qui n’ont pas de goût pour les causes malheureuses, surtout des esprits lents à qui il faut donner le temps d’arriver, et non pas seulement dans la bourgeoisie, petite ou moyenne, et parmi le menu peuple, mais aux rangs les plus élevés des différentes hiérarchies. La chose jugée, si longtemps toute puissante, sans doute affaiblie, reste très forte. Or, il a été jugé à Rennes que Dreyfus est toujours coupable, et, par conséquent, des historiens comme Sorel, des magistrats comme Baudouin[2], pour le moins deux cents sénateurs et députés, persistent à le croire coupable. Si la politique continue à tourner autour de Dreyfus, comment réunir les républicains pour l’effort

  1. Aurore du 2 octobre 1899.
  2. Voir plus loin p. 287.