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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

De tous les partis qui avaient combattu pour ou contre Dreyfus, il n’y en avait aucun qui eût déjà plus bénéficié de l’Affaire. Après avoir été, eux aussi, assez lents à se mettre en mouvement, les socialistes n’avaient point barguigné, une fois convaincus ; ils avaient rejoint ouvertement la petite armée disparate des revisionnistes, sans peur de se compromettre et plutôt, à l’occasion, compromettants. La plupart des « intellectuels » et un grand nombre de jeunes gens des écoles se prirent alors d’une vive sympathie pour eux, à cause de leur vaillance et de leur belle endurance aux heures difficiles ; ils leur trouvèrent assez généralement l’esprit plus ouvert qu’aux radicaux, se persuadèrent qu’ils les avaient méconnus jusqu’alors, ce qui avait été quelquefois le cas ; ils se laissèrent gagner par quelques-unes de leurs idées qui s’harmonisaient pour l’instant avec leur propre révolte contre l’injustice et dont la générosité, réelle ou apparente, contrastait, dans la lumière crue de la bataille, avec la dureté et l’égoïsme des anciennes classes dirigeantes. Il y a tout un socialisme bourgeois, tout un socialisme universitaire, qui date, qui sort de l’Affaire. Peu après, les socialistes parlementaires avaient renoncé à camper en dehors du parti républicain ; la majorité, très affaiblie par ses défaillances et consciente de sa faiblesse, les accueillit, comme un organisme fatigué reçoit un tonifiant. Jamais hommes ne prirent plus vite les bonnes et les mauvaises habitudes qui se contractent aux environs du pouvoir, quand on en partage la responsabilité et le profit. Tout le temps que va durer leur association avec les républicains, il n’y aura pas de politiques plus politiques, d’« opportunistes » plus « opportunistes », comptant avec les faits et avec le moment, ne paraissant occupés que du « possible », enchantés de faire figure de législateurs réguliers, de jour en jour plus avides