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LA REVISION


fort incertains si la Cour casserait sans renvoi, comme le lui demandaient le Procureur général et Mornard, ou si, renonçant par quelque scrupule juridique à dire le dernier mot sur l’affaire, elle renverrait Dreyfus devant un troisième conseil de guerre, comme c’était le sentiment de Moras[1]. Or, certainement, si la Cour admet les conclusions de Mornard, fait droit aux réquisitions de Baudouin et proclame l’innocence de Dreyfus, son arrêt, à la veille des élections, tombera lourdement sur les partis de réaction, puisqu’ils s’obstinent, après douze années écoulées comme au premier jour, dans l’injustice. Mais, non moins certainement, si les Chambres réunies refusent de statuer au fond, à regret, parce qu’elles ne s’en reconnaîtraient pas le droit, aussitôt cléricaux et césariens se reprendront à l’espoir d’une troisième condamnation militaire et, du coup, tel un nuage que ramène un vent de tempête, l’Affaire envahira à nouveau la politique. Déjà la lutte est dure ; beaucoup s’en inquiètent. Le suffrage universel a-t-il marché du même pas que le temps ? Quelle sera, sur cette grande masse, dont nulle astronomie ne peut calculer le flux et le reflux, la répercussion de tant d’événements qui ont mis aux prises tant de passions ? Ainsi la prudence commande de ne pas compliquer d’un tel risque une telle bataille et, encore une fois, de faire attendre la justice[2].

Dreyfus accepta ce nouveau retard avec son ordi-

  1. Revision, I, 368, Moras.
  2. Baudouin, dans son réquisitoire, donna comme raison à ce dernier retard « les exigences impérieuses du service ordinaire et quotidien de la Cour qui ne pouvait être suspendu, et, tout particulièrement, à la veille même du jour où les débats allaient pouvoir s’engager, cette avalanche de pourvois en matières d’inscriptions électorales qui devaient être nécessairement jugés avant l’élection de mai ». (Revision, I, 370).