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L’AMNISTIE


caine », parce qu’il n’y avait alors rien à faire que d’attendre la justice et de rétablir l’ordre[1]. Maintenant le gouvernement avait l’obligation de préciser sa pensée autrement que par des mots.

Waldeck-Rousseau ne croit pas à l’imminente menace du péril social[2] ; le danger, à la fois moins scientifique et moins lointain, vient du côté opposé : l’émeute seule a été conjurée ; la contre-Révolution a maintenu ses positions ; son parti, le parti clérical, prépare de nouvelles luttes.

Il y avait encore beaucoup de républicains qui doutaient de l’innocence de Dreyfus. Il n’y en avait plus beaucoup, même parmi les plus modérés, à qui l’Affaire n’eût ouvert les yeux sur le changement profond qui s’était opéré dans l’esprit français depuis que la loi Falloux avait livré aux congrégations l’éducation et l’instruction d’une partie de la jeunesse.

La propagande enragée des Assomptionnistes, leur bonne presse, leurs 130 millions de feuilles semées annuellement, le filet aux mailles serrées d’une organisation électorale, à la fois grossière et savante, étendu sur tout le pays, c’était de beaucoup le moindre mal. L’œuvre des œuvres, c’est toujours l’enseignement, la formation (la déformation) des cerveaux, la création d’une mentalité tournée vers le passé, hostile à la science, au libre examen, l’empoisonnement des sources, d’où celui des eaux qui en sortent, se répandent dans toutes les directions, promènent et exhalent les germes.

  1. Voir t. V, 188.
  2. « Dans le discours dont on parle, on ne trouvera pas qu’une seule fois j’aie présenté ce qu’on appelle le péril social comme un danger imminent pour une société dont je vantais l’esprit d’individualisme, l’esprit d’épargne et le goût de propriété. » (Chambre des députés, séance du 16 novembre 1899.)