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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Longtemps latente, tout à coup, à l’occasion de l’affaire Dreyfus, la contre-Révolution s’est dressée. De combien peu s’en est-il fallu qu’elle ne l’emportât ! Nulle nécessité ne pouvait paraître plus évidente que de mettre non seulement la République, mais la société, la France moderne, à l’abri d’une nouvelle entreprise des forces et des idées du passé.

Les forces assaillantes, on les avait arrêtées plutôt que brisées. L’idée subsistait tout entière, proclamée, prêchée, enseignée, au nom du Syllabus, par les chefs politiques, par les congrégations. « La France, c’est le catholicisme. » La Révolution, « le mal révolutionnaire », c’est l’ennemi qui perd la France[1].

L’esprit de la contre-Révolution, qui s’identifie ainsi lui-même avec l’esprit catholique, s’était infiltré partout, dans la bourgeoisie, dans l’armée, dans l’administration ; l’on pouvait dire sans exagérer qu’il ruinait ce qui avait fait la force et la grandeur de la France, son unité morale.

Il y avait près de trente ans, au lendemain des désastres de 1870, que Renan avait écrit : « La question qui est au fond de toutes les autres, c’est que la France a voulu rester catholique ; elle en porte les conséquences. Le catholicisme est trop hiératique pour donner un aliment intellectuel et moral à une population ; il fait fleurir le mysticisme transcendant à côté de l’ignorance ; il n’a pas d’efficacité morale ; il exerce des effets funestes sur le développement du cer-

  1. Voir t. III, 546 et suiv. — Profession de foi d’Albert de Mun, dès février 1876 : « Convaincu que la foi catholique est, dans l’ordre social aussi bien que dans l’ordre politique, la base nécessaire des lois et des institutions ; que, seule, elle peut porter remède au mal révolutionnaire, conjurer ses effets et assurer ainsi le salut de la France… »