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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sants » et des nobles, travaillant ainsi à la constitution d’une véritable caste militaire, ouvertement hostile au régime et qui considérait l’armée comme une chose à elle. Vers la fin de cette année 1899, le nombre des lieutenants et sous-lieutenants à particule étant à peine de 10 pour 100 (sur 8.000), celui des généraux de division appartenant à des familles d’ancien régime ou anoblies était de 30 pour 100 (sur 110). Ainsi l’officier noble avait trois fois plus de chances de devenir général que son camarade roturier, fût-il sorti des Jésuites avec des opinions monarchistes. — Quiconque était soupçonné d’attachement au gouvernement républicain était noté comme « faisant de la politique ». On savait en haut lieu le sens de la formule. « Il n’y avait pas d’exemple d’un officier auquel le fait d’être républicain n’eût pas nui[1]. »

En cet état de choses, le décret de Galliffet sur les commissions supérieures de classement, par lequel il brisait leur omnipotence et se réservait la nomination des généraux[2], parut une manière de révolution ; et c’en était une, en effet, puisque les officiers républicains allaient enfin pouvoir dire, « sans risque de se perdre[3] », qu’ils ne méprisaient pas le gouvernement du pays, et puisque l’accès des hauts grades se rouvrait devant eux ; — mais rien aussi ne pouvait irriter davantage les privilégiés de naissance, de fortune et d’opinion qu’un retour à l’équité et à l’égalité ; ils l’interprétèrent comme une injustice.

Même au plus fort de la crise, les manifestations publiques d’officiers avaient été rares. Il ne s’en était

  1. Temps du 3 décembre 1899 : Lettres libres sur la nation et l’armée, par un colonel.
  2. Voir p. 45.
  3. Lettres libres.