Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


fille de marchand, pour son uniforme et son épée. Maintenant, quel conflit dans cette pauvre âme ! Ceux en qui son mari croyait aveuglément l’accusent d’un crime si affreux qu’ils ne le peuvent même pas nommer ! Que croire ? que penser ? Elle n’eut pas un doute. Pas un soupçon ne l’effleura d’une aile salissante. Sa foi dans le père de ses enfants reste invincible. Contre l’accusation secrète, voilée de ténèbres, mais quelle qu’elle soit, elle proteste d’une inlassable énergie. Elle dit à Du Paty la droiture, la loyauté de son époux, son patriotisme exalté, sa haute notion du devoir, l’impossibilité matérielle qu’un acte vil, criminel, ait pu être commis par lui. Elle discute, s’efforce à raisonner de l’inconnu. « Il ne sort qu’avec moi ; je connais l’emploi de tous ses instants. — Il faut si peu de temps, répond Du Paty, pour faire cela ! »

Le jour de la perquisition, Du Paty et Cochefert avaient distrait de la saisie les lettres de fiançailles de Dreyfus ; ils les avaient laissées à sa femme. Du Paty les redemanda pour y chercher une certaine forme de lettre qu’il n’avait point trouvée ailleurs. Il y fit un choix qu’il eut le courage d’emporter.

Un jour, devant Gribelin, il l’interroge sur cette déception que Dreyfus avait éprouvée, au sortir de l’École de guerre, quand la passion antisémite d’un examinateur l’avait fait descendre du rang qui lui était dû. Elle connaissait l’incident, s’en expliqua sans difficulté. Dans son rapport, il lui fera dire « que Dreyfus avait été malade de cette déception, qu’il en avait eu des cauchemars, qu’il en souffrait toujours, qu’il répétait : C’est bien la peine de travailler dans cette armée, où, quoi qu’on fasse, on n’arrive pas selon son mérite ! »

Voilà donc le mobile du crime, et c’est la femme qui le livre !