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LA CAPITULATION DE MERCIER


une enquête dans tous les centres d’espionnage. Nulle part, personne n’a connu ce capitaine.

Au bout de peu de jours, le Gouvernement allemand se sentit spécialement visé. Pour secrète qu’elle soit tenue, l’accusation a filtré à travers d’invisibles fentes. C’est bien avec le colonel de Schwarzkoppen que Dreyfus est inculpé d’avoir trafiqué. La Patrie, du 9 novembre au soir[1], déclare savoir de source autorisée que des lettres de Dreyfus à Schwarzkoppen ont été saisies.

Sans perdre une heure, l’ambassade d’Allemagne à Paris protesta. Elle fit paraître, dans le Figaro du lendemain, une note très nette : « Jamais Schwarzkoppen n’a reçu de lettres de Dreyfus. Jamais Schwarzkoppen n’a eu aucunes relations, ni directes ni indirectes, avec lui. Si cet officier s’est rendu coupable du crime dont on l’accuse, l’ambassade d’Allemagne n’est pas mêlée à cette affaire[2]. »

Deux jours après, le 12, déclaration analogue des Italiens, dans l’Italie, à Rome, et le 14, dans le Gaulois, à Paris, démenti non moins catégorique de l’Autriche.

Presque tous les journaux traitèrent ces démentis de mensonges : « Quel intérêt, demande la Libre Parole, a la Triple Alliance à sauver le traître ? » L’Autriche n’avait jamais été mise sérieusement en cause ; on avait fini par savoir que la principale pièce ne venait pas de l’ambassade d’Italie ; le feu de la presse roulait contre l’ambassade d’Allemagne.

Bien que l’antisémitisme contemporain soit d’origine allemande, l’empereur Guillaume n’était pas homme à l’aider d’un silence mensonger. Puisque l’État-Major français accuse Dreyfus de trahison, l’État-Major alle-

  1. Patrie du 10 novembre ; ce journal est antidaté.
  2. Figaro du 10.