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LA DÉGRADATION


de mort a été abolie, parut à tous extravagant[1]. Si les socialistes joignirent leur protestation à l’universelle colère, faite à la fois de déception sauvage et du souci de l’égalité, la raison était avec eux.

D’autant plus que, loin de vouloir frapper du châtiment suprême les traîtres et espions à venir, ils en proposaient l’abolition pour les soldats coupables d’une simple voie de fait envers un chef.

Mais où le démagogue perça sous le socialiste, ce fut quand les courtisans de la foule déclarèrent que le traître, condamné de la veille, aurait dû l’être à la peine de mort.

La jurisprudence est formelle ; quand elle a été appliquée à l’adjudant Châtelain, nul n’a réclamé. Aujourd’hui paraît une nouvelle thèse : les crimes commis contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’État ne seraient pas des crimes politiques. Dès lors, si le ministère public n’a pas demandé et si le conseil de Guerre n’a point prononcé la peine capitale contre Dreyfus, c’est que le Gouvernement était intervenu pour sauver, par une interprétation mensongère des textes, un officier, un bourgeois. Ici encore, le Gouvernement avait cédé aux injonctions de la finance cosmopolite, des puissances d’argent[2].

Ainsi l’innocent, déshonoré, brisé, jeté au bagne pour le crime d’un autre, l’innocent contre qui toutes les lois avaient été violées, c’était un privilégié !

Thèse absurde et d’une féroce ironie, mais qui res-

  1. « On frappe ce traître comme, après 1871, on frappait les patriotes exaspérés par les malheurs de la patrie. » (Radical du 25, article de Lucipia.) Et Clemenceau dans la Justice : « Nous n’avons même pas été capables de fusiller Bazaine. »
  2. Rochefort et Drumont ont une autre version. C’est aux injonctions de l’Allemagne, du comte de Munster qu’a obéi Dupuy. (27 et 29 décembre).