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LA DÉGRADATION


ligoté, il se tourna vers Lebrun-Renaud, et, lui montrant ses vêtements déjà décousus, le pria de donner l’ordre de « faire vite quand on serait là-bas ». Comme l’officier se taisait : « Je vous regarde en face, lui dit-il, et si j’ose le faire, c’est que je suis innocent. On en aura la preuve un jour, et l’on regrettera alors la peine qui m’est infligée aujourd’hui. » Et il répéta la parole de Demange, que « sa condamnation était le plus grand crime du siècle[1] ».

Il monta dans la voiture cellulaire conduite par deux soldats du train, en grande tenue. Les gendarme » y montèrent avec lui. La voiture s’éloigna au galop, encadrée d’un escadron de la garde républicaine à cheval.

Quelques minutes après, le cortège entra dans la cour de l’École militaire. Dreyfus, très vite, descend de voiture. Il jette un regard sur le lieu du supplice, cette maison qui, par deux fois, a été la sienne, où, lieutenant, puis capitaine, il a formé tant de rêves. Puis Lebrun-Renaud le conduit dans le bureau de l’adjudant de garnison, pour y attendre l’heure de la parade[2].

C’était une toute petite pièce (3 mètres carrés)[3]. La porte en resta ouverte sur une salle plus grande, où allaient et venaient des officiers. Il faisait très froid ; Lebrun-Renaud et Dreyfus se tenaient près du poêle[4]. Deux gendarmes étaient de garde.

  1. Figaro du 6 janvier, Récit d’un témoin. C’est le récit fait par Lebrun-Renaud au journaliste Clisson, le soir même de la parade d’exécution (Voir page 528). — Sur tous les détails matériels, étrangers aux propos qui servirent par la suite à créer la légende des aveux, le récit de Clisson est confirmé, point par point, par la déposition de Lebrun-Renaud.
  2. Cass., I, 275, Lebrun-Renaud ; I, 279, colonel Guérin. — De-même, Rennes, III, 73, 86, et le Récit d’un témoin.
  3. Rennes, III, 82, Lebrun-Renaud.
  4. Ibid., 86.