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ABANDONNÉE

si bonnes, les mères, si bonnes !… J’en ai trois, et je les aime toutes, toutes !…

La jeune femme avait pâli : allait-elle apprendre enfin le secret que ces lèvres d’enfant détenaient ?

— Comment se nomme la troisième maman ? interrogea-t-elle. Est-ce de ma sœur Irène que tu veux parler ?

— Non ! fit-elle.

Puis, se ressaisissant :

— Oui, oui, Mlle Irène en sera aussi une pour moi.

— Mais avant Mme Kerlan, tu avais une petite mère qui t’aimait bien, et te brodait de jolies robes ?

La petite fille eut un air effrayé, puis cachant son visage dans l’oreiller, elle murmura :

— Oh ! que j’ai sommeil !…

Force fut à la jeune femme de la laisser dormir, en cessant de l’interroger sur ce sujet, puisqu’il était manifeste qu’elle ne voulait rien dévoiler. Et puis, qu’importait ? L’enfant était maintenant bien à elle, à quoi bon rechercher son origine ? Le mystère planait sur ce passé, Paule n’essayerait plus de le dévoiler. Elle se contenterait d’aimer Mireille et d’en être aimée.


CHAPITRE VIII

L’ÉDUCATION DE MIREILLE


Devenue la maîtresse absolue de l’enfant tant désirée, Paule voulut en être le professeur, afin de l’avoir tout à elle. Pour l’aider dans cette éducation qu’elle désirait complète, elle prit comme gouvernante Mlle Yvonne Le Thiennec, la fille d’un notaire de Pont-Scorff, que la mort de son père obligeait à chercher une situation. Elle devait remplacer Mlle de Montscorff lorsque l’enfant préparait leçons et devoirs, et pendant les récréations, afin que Mireille ne fût jamais seule.

Cette jeune fille avait une vingtaine d’années ; elle était douce et bien élevée. Son instruction assez étendue lui aurait permis de se placer comme institutrice, mais elle n’avait pas ses brevets. Elle fut donc très heureuse d’être appelée aux Magnolias, près des châtelaines, si bonnes à tous, et non loin de sa mère qu’elle pouvait aller voir chaque dimanche.

Le sacrifice de sa fille permettait à Mme Le Thiennec de laisser ses deux fils au collège de Lorient, et de continuer à vivre à Pont-Scorff d’une modeste rente qui suffisait amplement à sa simple vie.

Yvonne s’attacha bien vite à cette petite aimable et studieuse. Mireille, qui ne demandait qu’à être aimée, l’affectionna aussi. Cette réciprocité rendait les rapports très faciles entre l’élève et la sous-maîtresse.

Mlles de Montscorff ne s’étaient pas trompées en supposant leur cousine Lucie hostile à cette adoption.

Mme de Cosquert arriva un matin au château avec un visage tout bouleversé.

— Que m’apprend-on ? dit-elle. Vous acceptez comme vôtre une enfant venue on ne sait d’où ! Je ne puis le croire !

— Cela est très vrai, Lucie, lui répondit doucement Paule. Nous voyons une bonne œuvre à faire, notre situation de fortune nous le permet, nous nous hâtons de nous y employer.

— Vous lui donnerez sans doute le nom des Montscorff, à cette petite aventurière ? interrogea-t-elle, son fin sourcil froncé.

— Il n’est pas encore question de nom pour le moment ; elle répond simplement à celui de Mireille, dit Mlle Irène.

— Veux-tu voir la fillette, Lucie ? demanda Paule, qui sentait l’orage gronder et ne voulait pas le laisser éclater.

— Non, vraiment ! s’écria la jeune femme révoltée. Je ne m’abaisserai pas à parler à cette fille. Et je vais vous avouer bien franchement que si vous persistez dans cette adoption ridicule, je ne viendrai plus au château. Je ne veux pas que mes enfants soient mis en contact avec cette abandonnée qui doit avoir la plus déplorable éducation, les plus mauvais instincts.

— La colère t’aveugle, Lucie, reviens à toi ! fit Paule, désolée de la tournure que prenait l’entretien. Cette petite Mireille est charmante, et tu pourrais sans crainte la laisser avec tes filles ; elle ne saurait leur nuire, au contraire.

— Oui, dis donc qu’elle leur est supérieure en tout. D’où vient-elle ? Où a-t-elle été élevée avant d’être jetée sur le chemin ? Tu ne peux me le dire, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle, triomphante.

— Nous pouvons te dire une chose : elle était malheureuse et nous l’avons secourue ! dit Mlle Irène gravement.

— Et nous ne la délaisserons jamais ! acheva Paule.

— Vous n’avez jamais aimé vous entourer que de petites gens ! fit la baronne avec mépris. Mais jusqu’à plus ample information, je ne reviendrai plus.

Et elle était partie, laissant ses cousines révoltées de son manque de cœur.

— Je l’avais mieux jugée ! s’écria Paule. Qu’elle nous laisse, puisque cette enfant la gêne ; nous ne la sacrifierons pas à son orgueil.

Mais la jeune femme souffrait malgré tout de ce délaissement.

Mlle Irène, dont l’exquise nature ne comprenait pas la jalousie, était charmée de l’introduction de la petite inconnue dans leur solitude : elle voyait un tel bonheur rayonner sur le visage de sa sœur ! Plus de ces tristesses qui assombrissaient ses yeux clairs, et penchaient sa taille, restée flexible comme les joncs de la rive. Des sourires, de la gaieté dans les reparties, des courses avec Mireille dans les prés ensoleillés, où leurs chansons joyeuses répondaient à celles des oiseaux.

— Il fallait un aliment à cette activité dévorante, se disait-elle, et la Providence a envoyé cette enfant vers nous, pour sauver Paule d’une vieillesse prématurée et sans joies.

Aussi, un jour, pendant le déjeuner, Mireille l’ayant appelée Mademoiselle, elle la reprit doucement.

— Dis-moi tante Irène, lui dit-elle avec un bon sourire, puisque ma sœur est devenue ta maman.

Cette amabilité mérita à la vieille demoiselle