Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/46

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chait auprès d elle, si, même dans nos relations les plus pures avec les femmes, ces avantages éphémères semblaient n’être, à notre insu, une des causes des longs attachements. La grâce de sa physionomie était duc, moins à la beauté de ses traits, qu’à l’expression d’intelligence ct de sentiment qui les animait. Son regard était profond, vif et tendre ; son sourire spirituel et doux, toute sa personne empreinte de délicatesse et d’élégance. M. Joubert la comparait « à ces figures d’IIerculanum qui coulent « sans bruit dans les airs, à peine enveloppées d’un « corps. » Autant que j’en puis juger par un portrait d’elle, dû au pinceau de madame Lebrun, et dont elle fit plus tard présent à notre famille, la comparaison n’était pas moins juste qu’ingénieuse.

On n’aime pas faiblement ces êtres fragiles qui semblent n’être retenus dans la vie que par quelques liens prêts a se rompre. M. Joubert ne tarda pas à l’éprouver. Sa correspondance renferme trop de témoignages de l’affection profonde qui l’unit à madame de Bcaumont, pour que je ne me dispense pasd’en parlerici ; mais je nesaurais manquer d’insister sur une observation qui se rattache, si l’on peut dire, à l’histoire de son esprit : c’est que, pendant tout le temps que dura sa liaison avec elle, c’està-dire de 1794 à 1803, époque de la mort de cette femme si digne de regrets, les cahiers où il inscrivait ses pensées étaient plus vite remplis, plus fréquemment renouvelés, plus remarquables par le nombre, la fraîcheur, la finesse des aperçus. Il semble qu’une source intarissable et nouvelle se fût ouverte devant lui, une de ces sources sacrées que l’antiquité avait placées au pied do l’Hélicon.Madame de Boaumont était pour lui plus qu’une