Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/60

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prit, ni la chaleur de son âme n’en étaient atteintes. Soit qu’il acceptât une santé débile comme la condition nécessaire de l’exquise délicatesse de son organisation intellectuelle ; soit, ainsi que M. de Chateaubriand le lui écrivait un jour, « qu’il voulût voir l’enfer même du « bon côté », il gardait jusque dans ses plus grands abattements sa bienveillance et sa sérénité. J’en rencontre un exemple qu’on me pardonnera de citer. Atteint d’une maladie grave, pendant l’été de 1810, il avait été forcé d’interrompre son journal ; voici comment, lorsqu’il put le reprendre, il remplit la lacune qui séparait les dates :

« Du jeudi 7 juin au jeudi 12 juillet : ma grande et « bonne maladie l Deo gratiasl »

De pareils traits sont plus propres que mes paroles a peindre cette aménité singulière qui ne pouvait se démentir en face même de la souffrance 11 y avait là mieux que du stoïcisme, il me semble, plus même que delà résignation chrétienne, car on n’y saurait découvrir la préméditation d’aucun calcul ni l’indice d’aucun effort. On dirait l’épanchement continu d’une âme d’où les pensées heureuses, les joies tendres et naïves rayonnaient comme une auréole de douceur et de paix. C’est par là surtout que son souvenir est demeuré délicieux à sa famille et à ses amis. Combien de fois, dans la crainte que mon jugement ne s’égarât au milieu des influences du foyer, n’ai-je pas interrogé, avant d’écrire cette notice, les étrangers qui ont vécu dans son intimité I Je n’en ai point rencontré qui ne gardassent une sorte de culte pour sa mémoire et ne s’associassent à nos regrets avec une spontanéité dont la vive et sympathique expression m’a bien souvent touché. Qu’il me soit permis de dire ici